Le casque sauve des vies, c’est prouvé. Pourtant rares sont les cyclistes qui le portent. Des chercheurs tentent de faire bouger les comportements
Créé le 14/10/20, modifié le 01/10/24
Marie Pelé et Vincent Lenglin, chargés de recherche au sein de l’Anthropo-Lab, à l’Université catholique de Lille, en sont convaincus : il s’agit d’installer une habitude. De faire du port du casque un automatisme. Un peu comme c’est aujourd’hui le cas au ski. Reste à trouver le bon ressort pour faire boule de neige. Et c’est ce à quoi s’emploient ces deux spécialistes du comportement.
Un boulet
Pour le vélo utilitaire - par opposition au vélo loisir ou sportif -, on est loin du compte. Les freins au port du casque sont nombreux, comme en témoignent les deux chercheurs à l’issue d’une étude menée auprès de la population de leur Université (étudiants et salariés). Encombrant, inesthétique, inconfortable… Ce qui rebute en premier lieu les cyclistes, c’est son côté antipratique. Un vrai boulet quand on doit le trimballer avec soi toute une journée, en particulier pour les étudiants qui, bien souvent, ne disposent pas de casiers pour l’entreposer. Sans compter la sensation de chaleur, la coiffure aplatie et le prix de l’objet.
Bien sûr, les cyclistes sont conscients du risque de chute. Mais cette perspective, de l’ordre de la probabilité, ne fait pas le poids, face à la somme d’inconvénients du casque, eux bien tangibles. Il s’agit moins de persuader les gens du bien-fondé de pédaler casqués, que de leur inoculer cette habitude, presque à leur corps défendant, quitte à invoquer un mobile parallèle.
Pour la bonne cause
Marie et Vincent ont réfléchi à ce qui pourrait inciter les étudiants – plus réticents que les salariés - à le porter. Leur idée : jouer sur la fibre sociale et solidaire. Autrement dit associer le port du casque au versement d’argent pour une bonne cause. Ils l’ont fait savoir sur le campus et à l’entour via une campagne de communication (écrans d’information, réseaux sociaux, kakemonos, mails…). « Fais augmenter le pourcentage de cyclistes casqués et aide la ligue contre le cancer ».
C’est donc pour le compte de cette association, choisie par les étudiants comme leur préférée parmi un panel proposé, que l’Université a interpellé les cyclistes. Sur une période de quatre semaines, elle s’est ainsi engagée à faire quotidiennement un don à l’association, proportionnel au nombre de casques recensés. 10 euros par jour pour 1% de cyclistes casqués, 1000 euros pour 100%.
Coup de pédale dans l'eau
La procédure incitative n’a donc pas eu l’effet escompté. Raté pour l’effet d’entraînement. Manque de portée de la communication ? Absence de motivation des étudiants par rapport à un challenge avant tout collectif ? Sans doute un peu des deux, mais pas que. Il faut trouver le bon dosage entre les différents leviers qui poussent au changement de comportement. De la pression de conformité à la norme sociale, de l’engagement personnel à l’émulation collective.
Incitation sonnante et alléchante
Un facteur important pour adopter durablement le port du casque est d’expérimenter soi-même le traumatisme de l’accident, ou d’en être témoin. A l'instar du fumeur qui découvre l'état de ses poumons. Mais heureusement, cela n’est pas le cas de la majorité des cyclistes.
Alors que faire ?
Pragmatiques, les chercheurs envisagent à présent de tester l’incitation financière directe : proposer de l’argent aux cyclistes qui portent le casque. Ils ont déjà sondé les étudiants : « Combien faudrait-il vous payer pour porter le casque à chaque utilisation du vélo pendant un mois ? ». En moyenne, la réponse est 20 euros. L’idée des deux chercheurs est de récompenser un cycliste par tirage au sort parmi les étudiants repérés casqués. Ce qui permettrait à l’heureux gagnant de toucher une somme d’argent plus conséquente.
Toujours avec le même objectif en tête : que la période de campagne soit suffisante pour ancrer le port du casque dans les habitudes des cyclistes.
Atteindre le point de bascule
Autre source d’espoir, à plus long terme : on peut raisonnablement penser que les jeunes de moins de 12 ans, pour lesquels le casque est obligatoire depuis 2017, vont encapsuler cette pratique dans leurs neurones tout frais. Et ainsi devenir la première génération pour laquelle le port du casque sera naturel et automatique. De même, les parents qui se déplacent à vélo avec leur progéniture sanglée dans un siège enfant prennent en principe l’habitude de se protéger. C’est une affaire de seuil critique : quand suffisamment de personnes adoptent un certain comportement, 30 ou 35 % en moyenne, un emballement se produit et le reste de la population se convertit rapidement. C’est ce qu’on appelle induire une norme sociale. Le tout est d’atteindre ce point de bascule.
7 % des morts sur la route
Le vélo devient un mode de transport de plus en plus utilisé en Europe, représentant 16 % des déplacements quotidiens. Notamment du fait du développement des livraisons express. Mathématiquement, cette évolution s’accompagne d’un accroissement des accidents. Plus nombreux en ville, plus graves en campagne. 7 % des décès sur la route concernent des cyclistes. Et 40 % des accidents à vélo ont lieu sans la présence d’un tiers, du fait du comportement du cycliste lui-même. Soit parce qu’il n’entretient pas son vélo, les freins notamment. Soit parce qu’il néglige les moyens de prévention (gilet réfléchissant, sonnette, lumières). Soit enfin parce qu’il dédaigne le casque.
Autant dire que la recherche des bons ressorts pour amener les cyclistes à changer de comportement revêt un fort enjeu de santé publique.
Convergence des leviers
Et sinon, à quand le casque de vélo si stylé qu’on se l’arracherait comme un accessoire de mode ? De fait, les casques s’améliorent : en confort, en look, et même en volume. Il existe des casques pliants. Des expériences ont été faites sur un bandeau résistant aux chocs. C’est sans doute d’une convergence de toutes ces innovations, ainsi que des recherches pour modifier les comportements, que viendra le salut des vélos sur la route.
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L’Anthropo-Lab : une équipe de recherche qui rassemble plusieurs disciplines, de l’éthologie à l’économie comportementale, en passant par la psychologie sociale et cognitive.
Vincent Lenglin est chargé de recherche en économie expérimentale.
Marie Pelé est chargée de recherche en éthologie.
Ils essayent d’influencer le comportement des individus par une panoplie d’outils qui vont du nudge aux procédures incitatives.
Organismes de recherche et partenaires
Principaux intervenants
Fabrice LELEC, Responsable scientifique, Professeur des universités - Université de Lille,
Nicolas VAILLANT, Vice-Recteur Recherche & Directeur de Recherche, ETHICS EA-7446 - Anthropo-Lab - Université Catholique de Lille
Date de début / Durée
36 mois / Novembre 2020