Véhicules autonomes : lâcher le volant peut nuire à la vigilance

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Une étude sur notre capacité à reprendre le contrôle suite à une période de délégation de conduite

Homme en train de lire au volant d'une voiture autonome

Créé le 21/09/18, modifié le 14/12/21

Les constructeurs automobiles nous font miroiter depuis quelques années déjà la promesse de véhicules entièrement autonomes, qui viendront nous chercher devant le pas de porte, pour nous mener à destination tout en nous laissant travailler, bouquiner ou simplement faire une sieste. Les standards internationaux décrivent 6 niveaux d’automatisation du véhicule, de 0 (aucune automatisation) à 5 (automatisation totale : le conducteur devient simple passager).

Mais que se passera-t-il quand le véhicule devra vous rendre la main ? Comment être sûr que vous soyez à même de reprendre la conduite comme si de rien n’était ? Quel sera votre comportement dans ce cas ?


Les différents modes de conduite autonome, de la conduite totalement manuelle (mode 0) au véhicule sans chauffeur (mode 5). Celui testé ici est le mode 3, l’automatisation conditionnelle, dans lequel le véhicule est supposé capable de surveiller son environnement routier, et les conducteurs peuvent donc temporairement lâcher le volant et ne pas regarder la route, mais doivent cependant rester attentifs.

Conduite autonome : panacée, Graal, ou promesse de Gascon ?

La plupart des constructeurs automobiles se sont donnés pour objectif à terme le remplacement de la conduite humaine par un logiciel. De plus en plus d’aide à la conduite sont présentes dans les voitures d’aujourd’hui : les limiteurs ou régulateurs adaptatifs de vitesse, l’aide au parking automatique, le freinage d’urgence.

En s’appropriant progressivement le contrôle du véhicule, l’automatisation offre au conducteur la possibilité de se désengager de la conduite pour s’orienter vers des tâches sollicitant plus ou moins ses sens et son attention (lire, voir un film), ou même ses mouvements (par exemple jouer). Et ce dans un monde idéal, c’est-à-dire celui de l’automatisation totale (le niveau 5), car au niveau 3, celui qui parait le plus crédible aujourd’hui, de nombreuses études en psychologie ergonomique et en facteurs humains, développées initialement dans le cadre aéronautique, ont pointé l’existence d’une situation paradoxale : pendant la délégation de conduite de niveau 3, le conducteur peut désengager son attention de l’environnement et s’impliquer dans des tâches autres que la conduite, mais doit rester vigilant à tout instant pour reprendre la main en cas de problème! 

Cette évolution pose la question fondamentale de l’acceptation mais aussi de l’usage de ces nouveaux systèmes. Mais c'est principalement lors des demandes de reprises en main que les problèmes liés aux facteurs humains seront les plus aigus, puisque la sécurité ne sera plus seulement dépendante du système d’automatisation mais également de la capacité du conducteur à reprendre le contrôle du véhicule. 

Le mode 3 n’est donc pas vraiment une conduite autonome, c’est un peu comme si deux conducteurs devaient se relayer tout en se surveillant mutuellement.

Influence de la durée de la phase de délégation de conduite

Une soixantaine de volontaires ont participé à l’étude. Après une courte phase de conduite manuelle sur autoroute, les participant(e)s étaient invité(e)s à enclencher le mode automatique, et pouvaient visionner un film sur un écran multimédia. Au bout d’un temps variable (5, 15, 45 ou 60 minutes, conditions C5, C15, C45, C60) le système demandait la reprise en main alors qu’un véhicule freinait brutalement devant. La tâche consistait alors à éviter l’obstacle.

La performance a été évaluée en termes de temps et de dynamique de réaction, d’action sur les commandes, de trajectoire du véhicule, mais également grâce aux données physiologiques (fréquence cardiaque, activité électrodermale, rythme respiratoire) et oculaires (fixation du regard, ouverture des paupières, etc.) enregistrées pendant la conduite.

Les résultats montrent des comportements surprenants : si certain(e)s s’en sortent bien, d’autres réagissent tard et/ou mal, voire sortent de route ou percutent l’obstacle. Ni le sexe, ni l’âge, ni l’expérience de conduite ne permettent d’expliquer cette variabilité. Par contre, la durée de la conduite autonome joue un rôle en impactant surtout le temps et la durée de réponse. En effet on constate une augmentation du temps de reprise en main du véhicule à mesure que la durée de la phase de conduite autonome augmente. En moyenne et par rapport à ce qui se passe après 5 minutes de délégation de conduite, le temps de reprise en main augmente de 8% après 15 minutes, de 20% après 45 minutes et de 40% après 60 minutes de délégation.

          

A gauche, évolution du temps de reprise en main en fonction de la durée de délégation de conduite par rapport à la condition à 5 min de délégation. A droite, augmentation du risque d’accident en fonction de la durée de délégation, inférieure ou supérieure à 30 minutes.

Cependant, et de façon assez surprenante, le risque d’accident n’augmente pas de façon progressive, contrairement au risque de somnolence et au temps de réaction. Les conducteurs étaient plus impactés pour les durées de 5 et 45 minutes, avec une proportion d’accidents plus importante (respectivement 15,4% et 27% sur le nombre d’essais totaux) mais s’en sortent mieux après 15 minutes de délégation de conduite (aucun accident constaté). L’expérience ayant été menée deux fois avec chaque participant(e), l’étude a montré que les conducteurs s’en sortent généralement mieux au second essai.

Influence de l’état de vigilance sur la réaction des conducteurs


Cette figure illustre la diversité comportementale en fonction de la phase de conduite. En conduite manuelle (en haut) les conducteurs maintiennent un contrôle permanent de l’environnement. En bas lors de la phase de délégation certains portent leur regard uniquement sur le film (à gauche) là où d’autres partagent leur attention entre le film et la route (à droite).

Une seconde étude s’est intéressée à l’état de vigilance du conducteur pendant la phase de délégation de conduite. La vigilance a été évaluée par des techniques classiques se basant sur des indicateurs physiologiques comme la variabilité de la fréquence cardiaque, et comportementaux comme l’ouverture des paupières. L’évènement, plus complexe (la consigne était de sortir de l’autoroute, alors que de façon inattendue un patrouilleur neutralisait la voie de droite, obligeant à faire un crochet) était déclenché alors que la conductrice ou le conducteur était soit clairement somnolent(e), soit parfaitement éveillé(e). Nous avons comparé les réactions à ce type d’évènement après des phases de conduite manuelle et de conduite automatique.

Cette figure illustre le scénario lors de la reprise en main du véhicule. A. Le conducteur est informé par le véhicule de reprendre la conduite manuelle et de sortir de l’autoroute. B. Au niveau de la sortie, un camion patrouilleur bloque l’accès. Le conducteur doit se dévier sur la voie de droite. C. Le conducteur doit se rabattre sur la sortie à droite.

Si l’étude montre clairement que les conducteurs ont plus de mal à s’en sortir s’ils sont somnolents, on voit également que même chez les plus vigilants, les réactions après conduite autonome sont beaucoup moins bien adaptées et stéréotypées qu’après conduite 100% manuelle. Ainsi, le temps pour changer de voie est plus long d’environ 1,5 seconde en moyenne après conduite autonome que pendant la conduite manuelle, et le caractère de la manœuvre d’évitement est plus brusque de 60% alors même qu’ici aucune tâche secondaire n’était proposée.

Bien entendu, la simulation et la réalité virtuelle ne sont pas la réalité. Une dernière étude a été menée sur route à l’aide d’un véhicule « autonome » (en fait une version magicien d’Oz, un conducteur caché sur le siège de droite simule l’automatisation). Les résultats confirment ceux obtenus en simulateur, mais révèlent une meilleure maitrise de la situation, sans doute liée à une moindre confiance en les capacités du véhicule, une conscience du risque plus élevée et donc une vigilance plus soutenue qu’en simulateur.

En conclusion

La reprise en main d’un véhicule autonome de niveau 3 après une longue phase d’autonomie (comme cela peut arriver lors de longs trajets sur autoroute) pose clairement un problème de sécurité. Il est important de noter que contre toute attente, la somnolence au volant n’est pas le seul facteur de dégradation : l’activité menée pendant ces périodes joue également un rôle important, en captant l’attention du conducteur, alors que celui-ci est doit rester vigilant et attentif, même si l’environnement est supposé être contrôlé par le véhicule. Cette perte de conscience de la situation, qui varie d’un individu à l’autre, associée à une confiance plus ou moins grande dans les capacités du véhicule autonome, rend difficile la généralisation d’un comportement type à toutes les populations de conducteurs et de conductrices. Ces résultats montrent également que le seul monitoring de la somnolence ne suffit pas à déterminer si oui ou non le conducteur ou la conductrice sera capable de reprendre en main le véhicule en toute sécurité. D’autres états, comme l’inattention, la distraction ou la rêverie, plus complexes à détecter, devront être pris en compte.


Organismes de recherche et partenaires

CNRS et Aix-Marseille Université (AMU), UMR 7287 CNRS & Aix-Marseille Université Faculté des Sciences du Sport, CP 910 av. de Luminy F-13288 Marseille cedex 09

Principaux intervenants

Jean-Louis Vercher (DR CNRS) est spécialiste de Neurosciences Cognitives. Il est le chargé de mission au CNRS pour ce secteur.

Date de début / Durée

2018 pour une durée de 24 mois

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