Les ados font quelques fois un usage immodéré de leur smartphone. Pourquoi pas une application pour passer de la passion à la raison ?
Publié le 25/04/2020, modifié le 01/09/23
A quoi destinez-vous votre premier regard du matin ?
Qu’est-ce que vous regardez plus de 200 fois par jour ?
Avec quoi passez-vous vos soirées ou vos nuits ?
Que ne faut-il pas oublier quand on sort de chez soi, à part ses vêtements ?
C’est assez facile à deviner car il est devenu le compagnon idéal, indispensable, irrévocable.
La place que prend le smartphone dans nos vies
Il permet de parcourir le monde, d’être partout chez soi, d’être dans 1000 conversations en même temps, de ne jamais s’ennuyer. Alors pourquoi devrait-on s’en passer ?
Le smartphone s’est progressivement imposé à tous. Il s’est immiscé dans nos vies, il est devenu un double, un clone presque parfait. Il sait tout de nous et enregistre nos petits secrets, détenteur de nos identités numériques, il pourrait assez facilement se substituer à nos documents officiels. On peut tout prêter à un ami, tout, sauf son smartphone. Est-ce normal ?
Nous avons tous plus ou moins l’impression que cette relation à notre smartphone est librement consentie et qu’elle nous apporte satisfaction et utilité. A priori, nous ne sommes obligés à rien et nous pouvons briser les chaînes à tout moment, aussi facilement qu’une désinstallation d’une application. La réalité est tout autre, les services disponibles à partir d’un smartphone requièrent votre temps, ils s’alimentent de votre attention et s’enrichissent de vos données personnelles.
Vous êtes leur objet beaucoup plus que le contraire. Et cette dépendance peut se transformer en addiction. La peur de se trouver séparé de son smartphone a d’ailleurs trouvé son vocable : la nomophobie, preuve que tout ceci devient sérieux et important.
Il existe donc des usages plus ou moins délétères ou dangereux du smartphone. On peut définir des frontières entre l’utilitaire, le pratique et la dépendance, la soumission. Il n’est jamais très facile de définir des bornes précises, en revanche on peut mettre en place des indicateurs qui agissent comme des éclaireurs lorsque le smartphone se transforme en un outil préjudiciable à la santé physique ou psychique de son propriétaire.
Voilà le principal objectif de la recherche d’une équipe issue de trois laboratoires de l'université de Poitiers (Techné, LIAS, Cecoji et Crief ) et un laboratoire de l'ISAE-ENSMA. Ce projet se centre sur la population des adolescents, dont on connaît à la fois l’utilisation intensive du smartphone et la réticence à écouter les « bons conseils des parents ».
Pourquoi faut-il ne pas abuser de son smartphone ?
Les arguments ne manquent pas mais les chercheurs ont choisi de se concentrer sur deux problématiques, très en lien avec la cible des adolescents :
- la privation de sommeil. Tous les scientifiques et médecins s’accordent sur l’importance fondamentale du sommeil pour entretenir une bonne santé. Dormir autant que le corps et l’esprit le requièrent est indispensable dans cette période cruciale de développement, l’adolescence ;
- l’inattention. Une mauvaise allocation de l’attention sur une activité déterminée est préjudiciable à sa bonne réalisation. S’autoriser à passer d’un sujet à l’autre, comme un zapping ininterrompu, empêche la mémorisation et réduit les capacités analytiques.
Sans qu’il soit nécessaire de construire de longs discours, on imagine facilement les implications néfastes que les usages intensifs des smartphones induisent sur ces deux marqueurs sociaux.
Comment réduire les usages sans passer pour un dictateur ?
L’innovation consiste à ne pas utiliser les vieilles recettes de la prévention : mise en avant standardisée des bonnes pratiques ou exploitation des conséquences d’une surutilisation du smartphone. Le projet va mesurer les usages de chaque adolescent, les restituer de manière objective et les replacer dans un univers comparable. Ainsi, les adolescents pourront visualiser concrètement leurs comportements. La factualisation des usages au travers d’indicateurs et de tableaux de bord permet de s’affranchir de la subjectivité, soit de l’utilisateur lui-même qui ne se rend pas vraiment compte de ce qu’il accomplit, soit des observateurs extérieurs qui ont souvent des partis pris. Le projet va expérimenter une prévention personnalisée avec l’espoir que la mise en lumière de la réalité, sans jugement ni mise en cause, pourra induire une responsabilisation et des modérations auto-décidées.
Une application qui sonde le smartphone
Les chercheurs ont mis au point une application qui enregistre de manière très détaillée tout ce qui est réalisé à partir du smartphone. Par exemple :
- heures d’utilisation du smartphone ;
- durée et mode d’utilisation des applications ;
- sites internet visités ;
- réactions aux notifications produites par les applications ;
- consommation des données de chaque application résidente ;
- périodes et temps de charge de la batterie.
Cette application reporte à intervalles réguliers vers un serveur sécurisé, en garantissant une anonymisation des informations conforme au RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), afin de construire des indicateurs en lien avec les problématiques de départ : sommeil et attention.
Silencieuse et non visible, cette application écoute et enregistre les événements produits lors de l’utilisation du smartphone, un peu comme une sonde. Mais l’adolescent fait le choix de l’installer et il peut la stopper à tout instant. L’équipe du TECHNE a pris contact avec plusieurs classes de lycées pour une première phase d’expérimentation sur le terrain.
Quelles suites dans les prochains mois ?
A partir des premières expérimentations, des tableaux de bord seront co-construits avec les lycéens. Leur but étant de voir les évolutions des indicateurs dans le temps et de comparer chaque personne par rapport à une population de référence.