Un jeu de simulation pour promouvoir, au plus près des territoires, des stratégies préventives respectueuses de la biodiversité
Créé le 04/11/24
Dommages humains et dégâts matériels : les inondations révèlent les vulnérabilités. Et démontrent le danger de compartimenter la responsabilité. Si chaque décisionnaire reste dans son pré carré, sans considération pour les écosystèmes, le “risque naturel” a toutes les chances de se transformer en “catastrophe naturelle”. Négociation, aménagements techniques ou solutions fondées sur la nature, conséquences des décisions prises : le jeu de simulation Sim-MANA propose à des communautés de joueurs de renouveler leur regard sur la prévention du risque d’inondation.
En France, elles sont qualifiées de “naturelles”. Des catastrophes telles que les crues ou — événement météorologique de plus en plus fréquent — les vagues de chaleur. En vingt ans seulement, en raison du changement climatique, la fréquence de ces catastrophes a doublé, selon le bureau spécialisé des Nations-Unies (UNDRR — United Nations Office for Disaster Risk Reduction). Des phénomènes qui, tout autour du globe, mettent en tension les territoires, tiraillés entre des exigences environnementales, sociales et économiques souvent divergentes.
SimCity et le respect de la biodiversité
Comment contribuer à faire émerger des objectifs partagés ? Comment mesurer les conséquences d’un choix d’aménagement face à un risque naturel ? C’est pour fournir aux acteurs locaux un outil d’aide à la décision et à la délibération collective qu’a été conduit le projet de recherche MANA, soutenu par la Fondation MAIF. Il se focalise sur les inondations, risque auquel près de la moitié des communes françaises sont exposées. Une inondation est un phénomène de submersion qui se produit soit par ruissellement, soit par débordement des cours d’eau. Conçu par deux chargés de recherche, Franck Taillandier (INRAE) et Annabelle Moatty (CNRS), le projet MANA s’articule à un serious game, jouable dans différentes configurations. Son credo : réfléchir aux différentes stratégies de gestion du risque, en s’appuyant sur les écosystèmes, pour promouvoir le respect de la biodiversité.
Première déclinaison du projet, le jeu Sim-MANA fait un clin d’œil explicite au jeu de construction et de développement urbain SimCity — qui est aux Millenials ce que le Meccano aura été aux Boomers. Les participants sont réunis autour d’un plateau de jeu en 3D, qui modélise le territoire d’une ville fictive. Ils sont répartis en cinq équipes, aux intérêts bien différenciés : mairie, services techniques, commerçants, administrés et organisations environnementales. Ils jouent plusieurs manches, correspondant aux six années d’un mandat électoral et rythmées par plusieurs scénarios d’inondation. Tous s’informent, négocient des projets d’aménagement, réfléchissent et votent. La maquette du territoire est reconfigurée en fonction des décisions prises puis une crue est simulée par un modèle informatisé. Les effets sont immédiatement visibles.
S’inspirer des écosystèmes naturels
C’est au travers de l’information scientifique et technique distillée aux joueurs que Sim-MANA pousse auprès des participants le concept de “solutions fondées sur la nature” (SfN). Préférée depuis une quinzaine d’années au terme “ingénierie écologique”, cette appellation est promue par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), un organisme présent dans plus d’une cinquantaine de pays. L’UICN compte près de 1 400 membres — États, agences publiques, organisations non gouvernementales (ONG) — et quelque 10 000 experts scientifiques.
Au travers de cette approche, il s’agit pour les concepteurs de Sim-MANA d’entrer dans une “logique sensible”, telle que l’architecte Éric-Daniel Lacombe, spécialiste des risques naturels, l’oppose à la démarche d’inspiration technique. Dans le cas des inondations, les solutions fondées sur la nature invitent à reprendre la façon dont les écosystèmes naturels (marais, forêts ou zones humides) stockent et régulent les débits excédentaires, mais aussi à adopter des solutions douces, comme la végétalisation des toitures ou la création de noues (fossés) pour recueillir l’eau de ruissellement. Quand l’art imite la nature.
Culture grise et soupçons de greenwashing
Primé en 2023 lors de l’International Simulation and Gaming Conference (ISAGA) de La Rochelle, présenté dans une quinzaine de villes en France, via certains réseaux du monde de l’assurance, comme ceux de la SMACL ou de l’association Prévention MAIF, exposé au Palais de la Découverte au printemps 2024 dans le cadre du programme “Un chercheur, une manip”, le jeu Sim-MANA milite pour une nouvelle vision de la prévention des risques d’inondation. Les mesures de prévention inspirées par la nature se heurtent toutefois à des écueils. Dont la prédominance d’une culture “grise”, qui privilégie les infrastructures de génie civil (digues, barrages). Faute d’un retour d’expérience systématique, des incertitudes pèsent sur l’efficacité à court, à moyen et à long terme des SfN, ainsi que sur leur gestion. Elles sont également exposées à des soupçons de greenwashing ou de détournement du concept.
Ces freins à la sensibilité aux SfN ont été détaillés dans une thèse de doctorat en sciences de l’environnement, soutenue en septembre 2024 par Pénélope Brueger, sous la direction de Franck Taillandier. Un travail s’inscrivant en psychologie sociale de l’environnement, qui s’appuie notamment sur la déclinaison d’ateliers Sim-MANA, auxquels ont participé des chercheurs et des élus. Déclinaison auquel le jeu se prête bien. À partir du développement initial, plusieurs configurations de jeu auront ainsi été imaginées par les concepteurs. Fin 2023, c’est par exemple une version sous forme de challenge qui avait été proposée au Salon des maires et des collectivités locales, adaptée à une prise de conscience personnelle des décideurs locaux.
Boîte de jeu, façon Aventuriers du Rail
Après sa démonstration de faisabilité, le projet MANA en vient désormais à cibler des publics et des objectifs spécifiques. Temps de jeu ramassé et dispositif technique plus léger — avec une carte grand format sur laquelle les participants peuvent dessiner, une projection des inondations sur écran, des vidéos explicatives, et pour simuler les scénarios d'inondation, le recours à un simple tableur au lieu du modèle informatique — pour une version en 5 à 25 joueurs, facilement transportable. Une version “jeu de société”, façon Les Aventuriers du Rail, disponible à la demande à partir de 2025 et particulièrement adaptée à l’enseignement. Elle est baptisée “Rivero”, soit la rivière en espéranto, et peut se jouer d’1 à 5 personnes, à partir de 14 ans. Elle pourrait intéresser aussi des associations de sensibilisation aux risques, telles que l’association Prévention MAIF.
Outre la mise en ligne d’un démonstrateur grand public sur le site de la Fondation MAIF, le projet MANA investit aussi la question des risques multiples, en l’occurrence pour la gestion des écosystèmes forestiers. Méthodologie, modélisation, perception, stratégie... Son architecture pourrait inspirer un des projets du programme de recherche Résilience des forêts (FORESTT), piloté par l’INRAE et copiloté par le CNRS et le Cirad (recherche agronomique). De même que, toujours dans le cadre du plan d’investissement France 2030, le programme exploratoire sur la science des risques (IRIMA), copiloté par le CNRS, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’Université Grenoble-Alpes. Sim-MANA, un jeu gagnant.