Les habitants - responsables pour contribuer à la prévention des inondations ?
Créé le 09/02/21
Les inondations sont le risque naturel le plus répandu en France : 46% de communes y sont exposées. Sur les dernières décennies, plus de la moitié des coûts des catastrophes naturelles enregistrés par les assureurs provenaient d’une inondation (56% entre 1982 et 2014). En moyenne annuelle, les inondations génèrent 1,3 milliards d’euros de dommages économiques en France. Chaque grand événement apporte en plus son lot de victimes.
Par Katrin Erdlenbruch, Directrice de recherche à l'INRAE (UMR CEE-M)
Les politiques diverses pour faire face au risque d'inondation
Diverses politiques existent pour faire face à ce risque : des mesures structurelles (digues, barrages) ou non-structurelles (bassins de rétention des eaux) peuvent être prises afin de réduire l’aléa. Des politiques de zonages et d’information peuvent être utilisées pour prévenir la population (en France, les PPRi, les plans de prévention des risques d'inondation, par exemple). Les politiques de compensation des catastrophes naturelles (le système CatNat, catastrophes naturelles, en France) et des contrats d’assurances privées peuvent être utilisées pour améliorer la résilience des personnes touchées (en France, les contrats privés s’adressent avant tout à des entreprises qui peuvent assurer leurs pertes d’exploitation).
Inondation à Saint Béat, photo SDIS 31
Comment réduire notre vulnérabilité face au risque d'inondation ?
Parmi les mesures de réduction de la vulnérabilité, celles qui relèvent directement de la responsabilité des individus ont reçu un intérêt croissant ces dernières années. Les ménages peuvent par exemple investir dans un étage refuge ou aménager dans des rez-de-chaussée surélevés. Ils peuvent rehausser certaines installations de la maison (réseaux électriques, cumulus) ou utiliser des batardeaux et pompes pour empêcher l’eau de causer des dégâts ; enfin, ils peuvent aménager les pièces principales à l’étage ou ranger des affaires importantes en hauteur. Certaines études dans d’autres pays, en Allemagne et aux Pays-Bas par exemple, ont montré que des mesures de réduction de la vulnérabilité pouvaient être très efficace pour éviter des dommages.
Pourquoi vivre en zone inondable ?
Chercheurs de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), nous avons mené une étude pour mieux comprendre les comportements des ménages face aux risques d’inondations. Nous avons effectué une enquête quantitative auprès de 418 ménages habitants dans des communes soumises aux inondations dans les départements du Var et de la Haute-Garonne (voir ci-dessous Méthodologie de l'enquête). Nous avons en particulier cherché à comprendre pourquoi les ménages adoptaient ou n’adoptaient pas des mesures de réduction de la vulnérabilité*. Nous voulions aussi savoir si les ménages étaient prêts à contribuer financièrement à des politiques de prévention des inondations, soit pour la construction d’ouvrages de protection, soit pour des programmes qui accompagnent la mise en place des mesures de réduction de la vulnérabilité. Nos travaux ont été soutenus par la Fondation MAIF et l’Agence Nationale de Recherche.
*Nous utilisons indifféremment les termes "mesures de protection," et "mesures de réduction de la vulnérabilité" ; ce dernier est utilisé par le législateur.
Méthodologie de l’enquête
L’enquête a été menée d’avril à juillet 2019. Les entretiens, en face à face, se sont déroulées au logement des enquêtés. Au total, 418 entretiens ont été effectués dans 10 communes : 6 communes du Var (Draguignan, Le Muy, Les Arcs, Trans-en-Provence, Taradeau et Vidauban) et 4 communes de Haute-Garonne (Bagnères-de-Luchon, Montauban de Luchon, Saint-Mamet, Juzet-de-Luchon).
La sélection des répondants s’est faite par marche aléatoire : les enquêteurs sont partis d’une adresse sélectionnée au hasard, puis ont suivi un protocole qui leur indiquait le chemin à suivre et les habitations à enquêter. Les entretiens ont été effectués par le bureau d’étude Lorcolsim.
Nous présentons ici les résultats des répondants qui habitent au rez-de-chaussée, c’est-à-dire 343 individus, car ils sont les plus concernés par les inondations. L’échantillon présente les caractéristiques suivantes : trois quarts des répondants habite dans le Var, un quart en Haute-Garonne. Parmi les personnes interrogées, 53 % sont des femmes et 47 % sont des hommes. Toutes les classes d’âge sont représentées. Une majorité des répondants (74 %) a déjà vécu une inondation (même sans être personnellement touché). 80% sont propriétaires.
Des mesures de protection contre les inondations peu répandues…
La mesure de protection la plus présente est la surélévation du sol du rez-de-chaussée (50 % des répondants en ont). Cependant, cela ne semble pas être le résultat d’un choix pour se protéger contre les inondations, car les répondants ont rarement pris en compte le risque d’inondation lors du choix de leur logement.**
Seul 16 % des répondants ont d’autres mesures de protection dans leur logement. Ces mesures peuvent être très variées. Certaines apparaissent souvent comme la mise en hauteur d’installation électriques (7%), des batardeaux ou des clapets anti-retour dans les sanitaires (3 %). Un grand nombre de ces mesures ont été mises en place après les épisodes de 2010 et 2011 dans le Var.
Batardeaux, photo Katrin Erdlenbruch
Mais depuis 2013, très peu de nouvelles mesures ont été adoptées, et presque aucun répondant n’envisage d’installer de nouvelles mesures.
La perception du risque d'inondation
L’expérience et la perception du risque jouent un rôle essentiel. En effet, lorsqu’on demande pourquoi les répondants n’adoptent pas de mesures de protection, les principales raisons sont qu’ils ne se sentent pas exposés (39 %) ou que les inondations sont rares (18 %). Ces réponses sont prédominantes même parmi les répondants qui disent habiter en zone inondable. Une autre raison fréquemment invoquée par les répondants locataires est que cela n’est pas leur responsabilité (11 %).
Nous avons aussi mis en évidence les facteurs qui expliquent pourquoi les répondants adoptent des mesures, en utilisant des estimations statistiques***. De nouveaux, l’expérience et la perception sont importantes : ceux qui ont déjà vécu une inondation et ceux qui pensent qu’il est plus probable que leur rue soit inondée d’ici 10 ans ont plus tendance à adopter des mesures de protection. Les propriétaires prennent aussi plus souvent des actions que les locataires.
Les répondant prêts à payer pour plus de protection
Les répondants ont été interrogés sur leur disposition à payer pour des mesures de protection. Nous leur présentions des scénarios fictifs et leur demandions s’ils accepteraient de payer un montant donné pour que ce scénario soit réalisé.
Le premier scénario concernait la construction d’ouvrages de protection collectives contre les inondations (digues, bassins de rétention, l’amélioration des réseaux d’évacuation des eaux pluviales), et le second concernait le financement d’expertises et la mise en place de mesures de protection dans les foyers à risque (voir ci-dessous Scénarios et consentement à payer).
Les répondants sont généralement prêts à payer pour la mise en place de mesures de protection. La disposition moyenne à payer est de 46 € pour les ouvrages de protection collectives et de 35 € pour le financement d’expertises et la mise en place de mesures de protection dans les foyers à risque.
**En effet, avant 1960, le risque d’inondation influençait davantage les choix de logement. Cette prise de conscience a disparu pendant la période de 1960 à 2000 pour réapparaître récemment, depuis 2010.
***Ces résultats sont issus d’un modèle économétrique de type Probit.
Scénarios de consentement à payer
Scénario 1 « Imaginons que les pouvoirs publics créent une Caisse de Gestion Inondation pour financer la construction d’ouvrages de protection collectives contre les inondations (digues, bassins de rétention, l’amélioration des réseaux d’évacuation des eaux pluviales). Ces ouvrages vous protégeraient lors d’inondations qui auraient fait monter l’eau dans votre rue à 1 mètre. La Caisse de Gestion des Inondations serait alimentée par un prélèvement sur les impôts locaux. Ce prélèvement serait obligatoire pour tous les foyers de la communauté de commune. »
Scénario 2 « Imaginons que les pouvoirs publics créent une Caisse de Gestion des Inondations pour financer des expertises et mettre en place des mesures de protection dans les foyers à risque. Ces mesures empêcheraient l’eau de pénétrer dans les logements tant que la hauteur d’eau dans la rue ne dépasse pas 1 mètre. La Caisse de Gestion des Inondations serait alimentée par un prélèvement sur les impôts locaux. Ce prélèvement serait obligatoire pour tous les foyers de la communauté de commune. »
Parmi les déterminants de ces consentements à payer, le niveau d’éducation et le revenu sont des facteurs importants. La perception des risques est également importante : les répondants qui estiment qu’il y aurait beaucoup de dégâts chez eux si une inondation arrivait ont une plus grande disposition à payer pour des ouvrages collectifs ou des mesures individualisées.
Les répondants ont aussi précisé les éléments qui ont motivé leur réponse (de consentement ou de refus de paiement). Pas loin de la moitié des réponses sont des réponses dites « de protestations ». Il est courant de ne pas intégrer ces réponses de protestations**** dans des évaluations économiques. On peut alors calculer une disposition à payer moyenne en retirant ces réponses. Celle-ci s’élève à 91 € pour les ouvrages de protection collectives et à 94 € pour le financement d’expertises et la mise en place de mesures dans les foyers à risque. Ces chiffres peuvent ensuite être utilisés pour évaluer la coût-efficacité de la mise en place de mesures de réduction de la vulnérabilité.
Il est aisé de comprendre que la coût-efficacité est faible pour des investissements importants, comme la mise en place d’un étage refuge ou le fait de rendre étanches toutes les ouvertures d’un rez-de-chaussée. Ces résultats ont été confirmés par des études qui prennent en compte les probabilités d’occurrence de différents types d’inondations (pour mettre en balance les dommages espérés évités par les investissements de protection et leurs coûts). Etanchéifier les ouvertures revient par exemple à un investissement entre 7000 € et 10 000 €, selon la maison et la région. Certaines mesures moins coûteuses peuvent cependant rester utiles, telles que l’usages de sacs de sables pour boucher des ouvertures ou la mise à l’abri d’objets de valeur.
****Les répondants critiquent des aspects institutionnels du scénario ou relatifs au mode de paiement. Par exemple, de nombreux répondants ont déclarés que ce n’était pas à eux de payer et qu’ils payaient déjà trop de taxes.
Quelques réflexions pour conclure
Nous pouvons remarquer l’importance de l’expérience pour expliquer les comportements des ménages. La plupart des mesures de réduction de la vulnérabilité sont prises juste après une inondation. En plus, le vécu est un facteur explicatif significatif des investissements de protection. La perception des risques est également importante. Comme le montre notre enquête, celle-ci n’est pas toujours corrélée avec les zonages officiels du risque : 20 % des répondants qui pensent ne pas être en zone inondable habitent en fait en zone PPRI. Ce qui signifie que les politiques d’information gouvernementales ne sont pas assez bien assimilées.
On peut se dire que le manque d’intérêt des habitants pour investir dans des mesures de protection est en partie dû à l’existence du système CatNat qui représente un filet de sécurité important mais n’incite pas les individus à prendre des responsabilités. La réticence des ménages est aussi dû à un coût relativement élevé pour mettre en place les mesures les plus efficaces, par exemple pour rendre complètement étanche une maison. Pourtant, 40% des dépenses pour les mesures de réduction de la vulnérabilité étaient éligibles à des subventions gouvernementales au moment de notre étude, et même 80% depuis 2020.
Enfin, il est intéressant de souligner que la volonté des ménages pour contribuer financièrement à des politiques de prévention contre les inondations est non-nulle : entre 35 € et 46 € selon les politiques de prévention. Ces chiffres peuvent paraître faibles. Pour comparaison, les ménages français contribuent en moyenne seulement 20 € par an au système CatNat. Avec la GEMAPI, les collectivités territoriales peuvent facturer jusqu’à 40 € supplémentaires par an et par habitant pour mener des politiques de prévention des inondations. Face à ces sommes, la disposition à payer révélée dans notre enquête ne paraît pas si négligeable que cela. Elle s’élève même à plus de 90 € si l’on ne considère que les personnes qui se prêtent à l’exercice d’une évaluation monétaire des scénarios.
Au final, on peut donc dire que les habitants préfèrent des mesures de protections collectives à des mesures de protection individuelles et préfèrent ne pas porter la responsabilité pour leur mise en œuvre. Ils sont cependant prêts à soutenir des politiques de prévention collectives.
Maison inondée, photo Christophe Chavignaud, Irstea
Informations supplémentaires et contact :
Katrin Erdlenbruch : katrin.erdlenbruch@inrae.fr
Retrouvez l'article détaillant notre étude en anglais.
Champonnois, V., Erdlenbruch, K. (2021) ‘Willingness of households to reduce flood risk in southern France’ Journal of Flood Risk Management, doi: 10.1111/JFR3.12696