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Lorsque la science fait appel au public

La sismologie citoyenne ou les secrets d’une science participative utile et efficace !

maison en papier sur un faille sismique en carton

Créé le 24/02/25  

Par Rémy Bossu, secrétaire général du Centre sismologique Euro-Méditerranéen.

Si science citoyenne – démarche scientifique impliquant le public - et science participative sont souvent considérées comme synonymes, la science participative vise plus spécifiquement à faire appel au public pour collecter des données et/ou améliorer la diffusion des résultats. 

Les avantages sont évidents. Imaginez un scientifique qui étudie la migration d’une espèce d’oiseau d’un continent à un autre.

Deux solutions s’offrent à lui : déployer des caméras à des endroits clés (cols, couloirs…) le long du parcours ou demander aux ornithologues amateurs de partager leurs observations (de simples photos géolocalisées, par exemple !). Pas de secret, cette dernière approche, ou plus exactement une combinaison des deux approches engendre une densité d’observations, une précision des trajectoires hors d’atteinte aux seuls scientifiques et qui plus est pour un coût défiant toute concurrence ! Les raisons d’un tel succès sont simples : des communautés préexistantes (en l’occurrence les ornithologues amateurs) et motivées partageant le même objectif que le scientifique.

Dès que la thématique scientifique croise des hobbys, des passions ou des domaines d’intérêt du public, le succès est (plus ou moins) garanti. Il suffit de travailler avec ces communautés et les smartphones et Internet font le reste pour collecter, géolocaliser et transmettre les observations. On peut citer, entre autres, les succès en astronomie, botanique (suivi des espèces invasives) ou mesure de la pollution de l’air en zones urbaines !

De nombreux scientifiques se sont engouffrés dans ce nouvel Eldorado qui promettait, moyennant une simple application pour smartphones de décupler leurs observations. Mais beaucoup de ces applications n’ont jamais trouvé leur audience. Il suffit pour s’en convaincre de rechercher sur les stores les applications relatives à la science citoyenne, et de regarder le faible nombre de téléchargements et des notes souvent médiocres.

Pourquoi ces déconvenues ? Parce que la science participative n’est pas une question technique mais avant tout une question de communauté et d’intérêt du public. Avant de se lancer, il convient donc de répondre à plusieurs questions: quels sont les objectifs scientifiques ? Mon projet s'adresse-t-il à des communautés existantes ? Si oui, comment les impliquer ? Quelles peuvent être les motivations et les bénéfices pour les participants ? Sans réponses claires à ces questions, mieux vaut passer son chemin !

Le cas de la sismologie citoyenne

Qu’en est-il de la sismologie ? Il existe deux types de projets : ceux qui visent à densifier les réseaux de surveillance en installant des capteurs chez des volontaires et ceux qui visent à collecter les observations des témoins après un séisme. L’installation de capteurs chez des volontaires est rare et correspond à des situations spécifiques. En Haïti, grâce au projet OSMOSE plusieurs dizaines de capteurs ont été déployés chez des habitants disposant de l’électricité et d’internet. Ceux-ci ont été recrutés par cooptation grâce à nos partenaires locaux et avec qui nous échangeons via des groupes dédiés sur des applications de messagerie. Ces capteurs sont aujourd’hui la principale source d’information sismique pour le territoire haïtien et ont notamment été indispensables à l’étude des répliques du séisme de Nippes de magnitude 7.2 qui a causé la mort de plus de 2 000 personnes en 2021.

La situation est très différente en ce qui concerne la collecte des observations des témoins (violence de la secousse ou niveau de dégâts). L’objectif scientifique est d’améliorer les estimations rapides d’impact en y intégrant ces observations, et ainsi contribuer à l’efficacité des secours. Le défi consiste à collecter aussi rapidement et massivement que possible les observations des témoins d'un séisme dont on ne sait ni prédire le lieu, ni la date, ni la puissance. Autrement dit, il faut s'assurer que les témoins d’un séisme qu’on ne sait prédire viennent spontanément et rapidement sur une plateforme dont l’existence leur était probablement inconnue quelques minutes auparavant pour partager volontairement leurs observations !

La clé du succès ? Répondre au plus vite aux besoins d’information des témoins !

Les témoins ne partagent pas leurs observations pour participer à un projet scientifique, ils cherchent avant tout à obtenir des informations et à se rassurer. « Qu’est-ce que c’est ? » est la première question qu’ils se posent immédiatement après une secousse. Y répondre, c’est capter leur attention, répondre à leur besoin d’information et ensuite seulement ils sont enclins à partager leurs observations.

En pratique, pour trouver la réponse à cette question, certains témoins se tournent vers les réseaux sociaux, d’autres lancent une recherche Internet ou consultent l’application dédiée qu’ils avaient préalablement installée pour s’assurer qu’ils n’ont pas rêvé ou pour confirmer qu’il s’agit d’un séisme. Ces comportements laissent une empreinte numérique d’autant plus marquée que la recherche d’information est forte. Le système LastQuake les détecte automatiquement (détection crowdsourcée), identifie l’origine géographique de ces témoins et reporte immédiatement l’information sur ses plateformes (sites Internet, application smartphone, X, Telegram, Bluesky) : « Séisme possiblement ressenti il y a 2 min dans région X. Merci de confirmer ». Un lien les conduits vers un jeu d’imagettes représentant les 12 niveaux de l’échelle macrosismique (échelle définissant les niveaux de violence de la secousse et les niveaux de dégâts).


Un simple clic et leurs témoignages sont collectés, géolocalisés et peuvent être complétés par un commentaire libre.

Dans la grande majorité des cas (95%), les détections crowdsourcées (15 à 90s) précédent les traditionnelles localisations sismiques. Le taux de collecte des témoignages peut atteindre plusieurs milliers par minute (occasionnant des difficultés techniques pour absorber de tels volumes de trafic Internet) et environ 30%  sont accompagnés d’un commentaire. Les témoignages sont analysés pour générer et publier des cartes et courbes d’intensité macrosismique renforçant ainsi l’information disponible, ce qui attire de nouveaux témoins créant ainsi un cercle vertueux : plus il y a de témoins qui participent, plus les informations mises à leur disposition sont précises !

Une stratégie gagnant-gagnant

LastQuake est un système bénéfique pour le public et pour la sismologie. Côté scientifique, les témoignages sont exploités pour les estimations d’impact. Il a été ainsi démontré dans une étude rétrospective que leur exploitation opérationnelle aurait permis d’avoir une estimation fiable de l’impact humain du séisme qui dévasta le Sud Est de la Turquie en 2023 en 10 minutes contre 6 jours actuellement. Mais surtout, notre volonté de collecter toujours plus et toujours plus vite nous oblige à comprendre et répondre aux besoins du public. Ainsi, à titre d’exemple, LastQuake intègre des consignes de sécurité relatives aux séismes et aux tsunamis suite aux demandes des utilisateurs. Progressivement, son champ s’élargi à la sensibilisation au risque sismique et à une meilleure préparation. Enfin, grâce aux échanges entre public et communauté scientifique, ce type d’expérience renforce la confiance dans la science à une période où celle-ci est souvent remise en cause.

La sismologie citoyenne porte bien son nom car effectivement, elle nous a forcé à écouter au-delà des laboratoires scientifiques et à répondre aux besoins des citoyens dans une démarche constructive et toujours renouvelée.